Joyeuses fêtes de fin d'année!

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Léa

Léa ma fille, le Kabuki et moi
par Nathalie Le Calvé

Léa a eu 4 ans le 10 février. C'est une petite fille formidable ! Elle est tendre, joyeuse, gaie, drôle, câline. Elle adore danser, chanter, sauter. Léa a été diagnostiquée « Syndrome de Kabuki » quand elle avait 1an1/2. Pour moi ce fut un soulagement ! Après des mois d'angoisse et d'incertitude, j'avais enfin un nom, et une idée de ce que l'avenir de ma fille allait être. « Elle ne sera pas débile mais elle n'aura pas son bac ». C'est ce que le généticien qui nous suivait nous a dit, texto, quand il a enfin posé le diagnostic. Je n'avais jamais entendu parler de cette maladie avant. Nous étions préparés à l'idée d'une maladie génétique, et ma seule crainte était qu'il s'agisse d'une maladie à durée de vie courte. Heureusement il n'en est rien !

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu être mère. Le jour où j'ai fait mon test de grossesse, je me suis sentie différente. J'avais un petit être qui vivait en moi, et que je devais protéger. Je ne la connaissais pas mais je l'aimais déjà.

 

"Premiers signes d'une différence"

A 12 semaines de grossesse, le gynécologue qui me suivait a diagnostiqué une « clarté nucale épaisse » à mon bébé, et m'a conseillé une amniocentèse. Il partait en vacances et j'ai du attendre 4 semaines avant de la faire. Puis j'ai attendu encore 4 semaines pour avoir les résultats sur la recherche de trisomie. Recherche négative. A 26 semaines, mon bébé avait de l'ascite abdominale. On m'a donc refait une amniocentèse. Cette fois les médecins cherchaient une maladie métabolique ou une maladie de surcharge (les derniers résultats, négatifs, sont arrivés quand Léa avait 4mois…). Le gynécologue m'a conseillé de faire des échographies toutes les semaines pour suivre l'évolution du bébé. A 38 semaines de grossesse il nous a dit qu'il ne comprenait pas ce qui s'était produit durant ma grossesse, qu'il ne pouvait rien faire de plus et qu'on verrait à la naissance. Et on a vu ! Léa est née par césarienne, en urgence, dans une clinique privée. Elle ne savait pas respirer toute seule, était en hypoglycémie, en hypothermie, elle ne savait pas avaler, et elle avait de nombreuses malformations dont la fente palatine. Elle a été transférée à l'hôpital après qu'on me l'ait montrée 2 fois 1 seconde, au bloc opératoire… Et moi je suis restée dans ma chambre, à la clinique. J'ai rencontré ma fille elle avait 3 jours. Mon mari m'avait apporté de l'hôpital une photo de Léa en réanimation. Ce qui m'est venu de suite : ma fille est un croisement entre un boxeur et un bouledogue. C'est vraiment l'idée qui m'est venue… Elle était bouffie, gonflée, branchée de partout par plein de câbles et de tuyaux… Ce n'est pas encourageant comme 1ère approche de son 1er bébé…

Léa a passé 3 mois ½ entre la néonatologie et la réanimation pédiatrique. Elle avait des tas d'examens et de visites. Elle a été vue par l'ORL pour sa fente palatine, par l'orthopédiste pour sa luxation des hanches. Il a prescrit à Léa le port d'un coussin orthopédique 24h/24 jusqu'à ce que ses hanches retrouvent une position normale. Elle l'a gardé en fait jusqu'au 31 décembre… Elle a été vue par le cardiologue pour sa communication inter auriculaire (communication anormale des 2 oreillettes dans son cœur). Elle été vue par l'ophtalmologiste du fait de l'oxygénothérapie qu'elle avait eue en urgence à sa naissance et les jours qui ont suivi. Elle a également été « admirée » par le généticien qui nous avait rencontrés avec mon mari en anténatal, du fait des soucis de ma grossesse, et par une neuropédiatre. Sans compter le pédiatre du service de néonatalogie et tous ses internes, chaque matin. Tout le temps que ma fille a passé à l'hôpital, je l'ai passé aussi. Mon mari était sur Toulon du fait de son métier, je pouvais donc consacrer tout mon temps à Léa. Avec sa fente palatine elle ne pouvait pas boire au sein (on a essayé mais c'était trop difficile…) donc je tirais mon lait et elle le buvait par sonde nasogastrique.

 

"Après le premier mois..."

A 1 mois ½ elle n'avait pris que 1 centimètre, elle a commencé à faire des hypoglycémies. Une nuit je suis passée déposer du lait à 23h, et je suis allée la voir. Le scope sonnait et il clignotait « apnée ». Ca n'a pas inquiété l'infirmière de nuit. Le lendemain je suis retournée voir ma fille comme chaque jour, vers 8h30. En fin de matinée elle a convulsé. Elle était au sein, je tentais de la faire boire et elle a commencé à se balancer dans tous les sens, les yeux retournés. J'ai appelé au secours, le médecin m'a dit de la garder contre moi et d'attendre qu'elle se calme. Quelques instants plus tard on lui a fait un électro- encéphalogramme. Dans l'après midi elle a refait des apnées comme durant la nuit, je l'ai signalé et l'infirmière m'a répondu « elle revient à chaque fois donc il ne faut pas vous inquiéter ». Sauf que le temps qu'elle me dise cette phrase ma fille désaturait, elle est descendue à 47% d'oxygénation (la norme c'est au dessus de 97%). Elle était bleue… Vraiment bleue… Elle a été transférée en réanimation pédiatrique.

Du fait de ses problèmes, une endocrino- pédiatre a été contactée. Le tableau clinique a suffit. Elle a diagnostiqué une insuffisance anté- hypophysaire. Ce qui signifie que ma fille a toutes les glandes endocriniennes en état de marche mais que le chef d'orchestre (l'hypophyse) ne peut pas donner les ordres pour qu'elles sécrètent leurs hormones. Léa est donc traitée depuis par hormones thyroïdiennes en gouttes, hydrocortisone en gélules, et hormone de croissance, par injection en sous cutané.

Après plusieurs semaines passées en néonat, j'avais trouvé mes marques, je me sentais un peu chez moi. Et la sonde nasogastrique a été retirée. Léa parvenait mieux à boire au sein. A 5h le 17 avril 2001, le service de néonat m'a appelée pour que je vienne lui donner la tétée, elle pleurait et était en hypoglycémie. L'après-midi le pédiatre nous a annoncé que nous allions changer de service, une place étant libérée en unité mère/ enfant. Et là je me suis sentie perdue. Tous mes repères avaient sauté, j'avais la responsabilité presque entière de ma fille. Je devais rester avec elle 24h/ 24, ou demander à un membre de ma famille de me remplacer auprès de ma fille le temps d'aller faire ma douche ! J'ai appris à préparer les injections d'hormone de croissance et à les injecter. C'est très difficile la 1 ère fois de planter une aiguille dans la chair de sa fille, et puis on se raisonne, on se dit que c'est pour son bien et que pour qu'elle soit capable de se le faire plus tard il faut bien que nous, parents, nous ayons été capables de le faire aussi. Elle a commencé à boire au biberon, toujours mon lait que je continuais à tirer au tire lait. Elle prenait de très petites quantités, 60ml, puis 80ml. Une fois elle a passé le cap des 100ml, et ce fut la fête dans le service ! Pour le 1 er mai nous avons eu une permission de sortie. Nous sommes allées passer la journée chez mes parents. Le 8 mai on a recommencé, et ensuite le week-end suivant. Et en rentrant le soir dans notre chambre d'hôpital je me suis effondrée. Je ne comprenais pas pourquoi on ne nous laissait pas sortir alors que j'avais pris en charge ma fille tout le week-end, seule. L'infirmière m'a répondu « il fallait juste le demander » ! 3 jours plus tard nous étions sorties. Léa a fait dans la foulée une double otite carabinée avec 40° de température. Direction les urgences !

 

"Les petites lunettes du petit lutin"

En septembre de cette même année 2001 l'ophtalmologiste qui la suivait a décidé qu'il fallait qu'elle porte des lunettes. Elle a eu beaucoup de mal à les supporter. Elle les retirait tout le temps et un matin elle avait les yeux si rouges que je suis allée aux urgences ophtalmo de l'hôpital. Nous avons été vues par un interne (je n'ai pas de chance avec les internes) qui a ausculté ma fille et m'a dit « il ne faut pas vous étonner… Si vous n'êtes même pas capable de lui faire garder ses lunettes… » Je me suis sentie nulle ! Une mauvaise mère comme on n'en fait plus… Le lendemain matin comme Léa retirait à nouveau ses lunettes je me suis fâchée et je lui ai attaché les mains. Ca n'a duré que 2 minutes et là je me suis dit « ma pauvre fille tu deviens complètement folle ! ». J'ai usé de patience, et maintenant c'est Léa qui réclame ses lunettes si on ne les lui a pas mises ! Elle a du en plus porter des caches sur ses yeux, un jour l'œil gauche et le lendemain l'œil droit. Et ça non plus ça ne lui plaisait pas…

A 8mois ½ il y avait un liquide blanc qui apparaissait à l'entrée de son oreille quand elle buvait du lait. Au bout de la 3 ème fois j'ai appelé les urgences pour savoir si il fallait que je vienne. Je pensais à du lait. L'interne d'ORL m'a dit que c'était impossible et que j'étais folle ! Ce sont ses mots… Le lendemain comme ça recommençait j'ai appelé l'ORL qui la suit et il m'a fait venir de suite avec ma fille. Non je n'étais pas folle, c'était bien du lait qui arrivait là à cause de la fente palatine, il fallait opérer Léa dans la semaine. Et il a voulu connaître l'heure de mon appel pour avoir une petite discussion avec la charmante interne qui m'avait insultée la veille ! Léa a été opérée de sa fente palatine et ça a été affreux. Elle avait un énorme paquet de compresses dans la bouche, elle pleurait, elle geignait, elle avait les mains attachées de chaque côté de son lit, pour qu'elle ne les porte pas à sa bouche. Elle a été de nouveau gavée, mais elle a fini par ressortir de l'hôpital, au bout d'une semaine. Elle a commencé à boire et à manger un peu moins lentement (on ne peut pas dire plus vite ce serait exagéré !).

Elle a commencé à faire de la kiné avec Delphine à la même époque. Et elle a tout appris avec elle. A 14 mois elle ne tenait pas assise seule. A 15 mois elle tenait assise, commençait à se retourner seule du ventre sur le dos et du dos sur le ventre. Elle a appris à se mettre assise, à se mettre debout, à ramper, à monter et descendre des escaliers. Léa a fait ses premiers pas en août 2003, mais n'a commencé à marcher « qu' »en novembre.

En septembre 2002 elle a commencé ses séances au CAMSP (centre d'action médico-sociale précoce, pour enfants handicapés de 0 à 6 ans) Elle a des séances avec Yvonne, une éducatrice, 2 heures par semaine, séance au cour de laquelle elle mange sur place. Elle voit une orthophoniste 45 minutes par semaine, et elle fait en plus une séance d'approche de la communication gestuelle, en petit groupe de trois enfants, avec la même orthophoniste, Claire, et un professeur de l'école des sourds qui est lui-même sourd et muet. Le but de ses séances est de faire comprendre aux enfants que si ils ne parviennent pas à se faire comprendre en parlant ils peuvent essayer de s'y prendre autrement, en mimant par exemple. Elle prend beaucoup de plaisir à aller au CAMSP, d'autant plus qu'elle est prise en charge par une jeune femme qui est taxi, Stéphanie, qui est absolument formidable !

 

"Ce n'est pas grave, on la prendra dès qu'elle sera propre!"

Maintenant les choses progressent plus vite. Elle mange un peu comme nous, mais toujours du « facile à mâcher » ! Elle adore les « curly », mange des plats enfant tout prêts (industriels)  depuis quelques mois car jusqu'à l'été dernier elle ne mangeait que du « fait maison » ce qui n'est pas toujours facile quand on travaille ! Elle est entrée à l'école maternelle en septembre, en classe d'accueil. Elle a des copains et des copines dans sa classe, et un « amoureux » qui s'appelle Jérémy. Les premiers temps ont été un peu difficiles car Léa n'est pas propre… Quand je suis allée inscrire ma fille, la directrice m'a dit « ce n'est pas grave, on la prendra quand elle sera propre »… J'ai tenté de lui expliquer que ma fille est hypotonique du fait de sa maladie, qu'elle a du retard dans ses acquisitions, et que la propreté fait partie de ces choses qu'elle ne maîtrise pas encore. « Ce n'est pas grave, on la prendra dès qu'elle sera propre ». J'étais un peu démoralisée… Mais l'assistante sociale du CAMSP qui s'occupe de Léa m'a rassurée. L'intégration scolaire des enfants handicapés est obligatoire, c'est dans la loi ! Si cette école n'était pas à même d'accepter ma fille on en trouverai une autre ! Et à la rentrée, le miracle ! La directrice de l'école était en congé de maternité, et l'instituteur faisant fonction de directeur avait eu dans son ancienne école des enfants autistes et trisomiques dans sa classe ! Il connaît donc parfaitement bien les difficultés que cela entraîne, il a l'esprit très ouvert et il s'est battu avec nous pour faire accepter le pot et les couches à l'école ! Léa est dans une classe normale avec une institutrice et des camarades comme tous les enfants de son âge. Elle fait beaucoup de progrès en langage, et les gens autour de nous commencent à comprendre certaines des choses qu'elle dit.

C'est une petite fille adorable. Elle est joyeuse, gaie, tendre, câline, souriante, drôle. Elle a son petit caractère qui commence à s'affirmer et c'est un vrai bonheur de la voir enfin décider de ce qu'elle veut ou pas (dans la limite du raisonnable quand même). Je pense qu'elle est foncièrement gentille ! Avec mon mari nous essayons de l'élever comme on l'aurait sans doute fait si elle n'était pas malade. Il ne doit pas y avoir de différence non plus entre elle et ses cousins même si ce n'est pas toujours facile à faire comprendre à ses grands parents. Malade ou pas les règles sont les mêmes pour tout le monde ! Ca ne serait pas lui rendre service que de la traiter différemment des autres ! Chaque enfant est unique, ma fille l'est encore plus que les autres ! A part ça, de mon point de vue, il ne doit pas y avoir de différences !

J'ai mis 3ans ½ à faire la paix avec moi-même. Je me sentais responsable de la maladie de ma fille. Le généticien qui nous suit ici et celui de Paris m'ont pourtant expliqué que je n'étais responsable de rien, que c'était un « coup de pas de chance » mais Léa est sortie de mon ventre, je l'ai portée et j'aurais du la protéger ! Je sais maintenant que c'est idiot de penser cela même si on ne peut pas s'en empêcher ! Je l'aime comme elle est, elle est mon bébé d'amour ! Ce que nous avons vécu avec mon mari nous a rendus plus forts, en tant que personnes et en tant que couple. Nous avons eu des épreuves à traverser, des passages à vide parfois, mais au final c'est une richesse. Une expérience que beaucoup ne vivront jamais, et même si je ne souhaite à personne de vivre ça, même si pour ma fille j'aurais souhaité une vie normale et plus facile je ne regrette rien ! Je dis souvent que s'il n'y avait pas sa maladie, elle serait le bébé parfait dont toutes les femmes rêvent quand elles sont enceintes. Mais si elle n'avait pas cette maladie elle ne serait sans doute pas comme elle est ! Elle ne serait pas Léa, ma fille.

¤ Léa, 4 ans ¤


Date de création : 18/10/2010 21:59
Dernière modification : 10/12/2014 18:02
Catégorie : - La voix des familles
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