Papa de Camille
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« Ma vie avec le handicap »
Je ne sais pas si un papa a déjà donné son point de vue sur le handicap au sein de l’association. A vrai dire, les pères ne parlent pas beaucoup dans l’association. J’ai le sentiment que la gestion du handicap au sein des familles échoit essentiellement aux mamans. Peut-être que je me trompe, mais depuis que nous faisons partie de l’ASK, avec Béatrice, c’est le sentiment général que j’en ai.
Mon propos n’est pas de stigmatiser le comportement des pères par rapport à celui des mères face au handicap. Je vais juste m’efforcer de donner un point de vue masculin, celui d’un père d’une petite fille KABUKI. Pour ce faire je poserai d’abord mon regard sur le handicap, qui n’est pas apparu dans ma vie avec la naissance de Camille, ensuite je vous ferai part de mon ressenti, celui de père au sein d’une famille impactée par le handicap et enfin je vous parlerai de mes craintes et de mes espoirs, ceux que je porte pour ma famille couleur KABUKI.
J’ai grandi à la campagne, à Herbignac, petite ville de Loire-Atlantique. Mon père était ouvrier dans la construction navale et ma mère femme au foyer. Je dirais plutôt qu’elle nous a élevé au quotidien, mes deux sœurs et moi. Ma grande sœur, Nadia, est handicapée, suite à une opération elle est restée comme bloquée sur son âge, elle est handicapée mentale. Je ne sais pas trop bien ce que cela veut dire d’un point de vue scientifique, mais concrètement pour moi à l’époque elle n’était pas comme nous, n’avait pas d’ami, ne faisait pas de sport, n’allait pas dans la même école que nous. Je ne me souviens pas avoir jamais eu une conversation normale avec elle, avoir partagé des choses en commun, hormis les vacances et la place sur les photos. Je me souviens très bien que les autres enfants se moquaient d’elle, que j’éprouvais de la honte même si je prenais sa défense. Elle était souvent absente car son école était loin de la maison même quand nous avons déménagé pour la « grande ville » (St Nazaire). Ensuite, à 20 ans, elle est revenue à la maison, elle a fait des passages au CAT puis en foyer médicalisé. Seulement elle avait des problèmes de propreté (qu’elle a toujours) et a été renvoyée à la maison. C’est à ce moment qu’elle a commencé à devenir violente, elle exprimait surement son mal être ainsi, mais nous, on ne voyait que la violence, et au quotidien c’était intenable surtout pour ma mère (mon père travaillait et ma sœur et moi vivions déjà nos vies). Elle a alors été placée en hôpital psychiatrique en attendant qu’elle aille mieux. Depuis, elle est en foyer d’accueil médicalisé pour adultes handicapés à Bouvron.
Mon expérience du handicap n’est donc pas récente et à vrai dire, à l’époque, j’avais l’impression que ce n’était pas mon problème, mais plutôt celui de mes parents. J’avais tort. Ce n’est pas parce qu’on ne veut pas voir les problèmes qu’ils n’existent pas. Nadia sera, et maintenant je l’assume, dans mon héritage. Je ferai face, elle est ma sœur et je l’aime. Alors, quand Camille est née et que l’on a appris qu’elle était handicapée, j’ai eu très peur. En effet, l’expérience que j’avais du handicap était celle du parcours chaotique de ma sœur, et je ne savais pas si je voulais de cela pour moi et ma famille.
Je me considère comme chanceux, mon métier m’apporte satisfaction (pas toujours je l’avoue), je suis marié à une femme intelligente (beaucoup plus que moi) et j’ai deux magnifiques petites filles, Méline et Camille, qui grandissent trop vite à mon goût. L’annonce du handicap de Camille a été pour moi un cataclysme. Les épreuves que l’on a enduré depuis sa naissance ont été rudes, surtout pour Camille. Ce qui nous a permis de ne pas décrocher, de ne pas nous perdre est je pense notre famille. Celle que nous formions déjà à trois avec Méline. En réalité, Camille a la chance d’être née parmi nous, je ne dis pas que nous sommes la sainte famille, mais nous sommes une famille solide, avec des valeurs simples mais saines. Mon métier nous a toujours isolés géographiquement de nos familles respectives, cette situation nous a obligés à faire beaucoup par nous même, à être proactifs. Pour résumer, Camille est née au sein d’un couple soudé, qui avait déjà un enfant « normal » et qui savait où elle allait. Maintenant je ne dis pas que tout a été facile, mon expérience du handicap me tétanisait et m’angoissait. Seulement, j’étais marié à une femme forte et ma première fille était en bonne santé. Il fallait donc faire face, assumer comme des grands et construire notre avenir avec le handicap. Dans la vie, tout est question d’équilibre, moi j’avais trouvé le mien (travail et famille), le temps des épreuves était donc arrivé et j’étais prêt car je n’étais pas seul. Nous avons donc avancé doucement, mais surement, dans le quotidien d’une famille dont un des enfants est handicapé. Nous avons grandis avec le syndrome, sans nous perdre, en conservant notre équilibre et en nous appuyant sur les fondations solides de notre famille. Je n’ai pas honte d’admettre que dans la famille, Béatrice est notre fanal. Elle a assumé pleinement le quotidien, faisant le sacrifice de sa vie professionnelle pour être à cent pour cent présente pour nos filles et attaquer de face le handicap. Moi, j’ai continué à travailler bien sur, être présent au maximum (même si mon travail m’a éloigné parfois longtemps des miens). Je crois que j’ai joué et joue toujours mon rôle de socle, de fondation, mais le lead, c’est Béatrice qui l’a pris, normal, c’est dans son tempérament, toujours offensive et en mouvement !! Elle en sait plus que certains médecins, moi j’ai confiance, alors on fonce par où elle dit, je passe devant pour les coups, elle est formidable. Je crois qu’avec le handicap de ma fille j’ai découvert plus avant ma femme. Camille nous a je l’espère définitivement soudé, même si tout n’est pas tous les jours facile, notre famille est solide et moi j’ai trouvé ma place de père. Celui qui par son travail assure le bien être de sa famille, qui par sa présence rassure les siens, les protège. J’ai pris ma place, pas toute la place, rien que ma place de père.
Vous aurez surement compris que je ne vis pas le handicap de ma fille comme un mal, mais plus comme une force. J’avais une vision déformée du handicap par le prisme de mes souvenirs d’enfance et des angoisses que mes parents m’ont transmis. Seulement j’ai muri, j’ai appris beaucoup au contact de ma famille. Maintenant le temps est venu pour moi de faire le tri de tous ces sentiments anciens qui étaient certes confus mais bien réels et ceux qui aujourd’hui m’animent. Les angoisses sont toujours présentes, elles ne me quitteront peut-être jamais, on verra. Aujourd’hui en tous cas j’ai décidé d’être plus présent au sein de l’association. Etre dans le CA est pour moi un changement de posture, j’estime avoir une expérience dans le domaine, et je veux la partager, aider les parents qui découvrent cet univers. Ma condition de père m’oblige à être fort, j’ai en définitive une conception très vieille France de mon rôle, mais je l’assume. Je l’assume d’autant mieux que je sais que Camille sera avec nous, dans notre quotidien pour longtemps voir peut-être pour toujours. Bien sur, on l’élève et la guide vers l’autonomie de toutes nos forces, mais sans nous illusionner, il ne faut pas insulter l’avenir. On rêve tous du meilleur pour nos enfants, moi le premier pour Méline et pour Camille, mais ma vie rêvée n’est pas celle que je vis, mais celle que je vis me va très bien. J’ai longtemps cru que ma fille était handicapée par ma faute (je suis le père), que parce que je n’avais pas été un frère attentif, à l’écoute des souffrances de ma sœur, je payais en retour mon inconséquence.
Mais non, tout cela était erroné, ce n’était que faut semblant qui auraient pu m’aider à fuir la réalité mais pas à accepter la vérité. La vérité toute simple qui est celle-là : « c’est la vie». Oui c’est la vie, and so what, et bien c’est comme tout, une fois le diagnostic posé, on peut attendre que ça passe, fuir (beaucoup l’ont fait), ou faire face. Moi j’ai choisi la troisième solution, pas parce que je suis comme ça, mais plus parce que je ne suis pas seul. Ma famille me pousse, mon passé m’oblige et mon expérience m’a façonné ainsi. Ma fille Camille est unique non pas parce qu’elle est handicapée mais bien parce qu’elle nous a tous transformé, soudé, affermi. Mes craintes sont celles de tous les parents d’aujourd’hui, mais mes espoirs sont plus simples. Que ma grande fille ne tourne pas le dos à sa sœur et qu’elle l’accompagne dans la vie, même quand elle aura quitté le foyer. Que ma fille Camille devienne autonome et vive pour le mieux avec son handicap. Que ma femme garde la force qui est la sienne et qu’elle ne s’écroule pas quand Camille quittera elle aussi le foyer pour vivre sa vie, le ST GRAAL. Enfin que la vie ne me fasse pas mentir et que mes principes m’accompagnent jusqu’à mon tombeau.
Voilà, mon propos est terminé, je ne sais pas s’il servira à quelqu’un mais si cela était le cas je m’en réjouis. Il y a une phrase que j’aime bien me répéter quand je doute : « quand je m’examine je m’inquiète, mais quand je me compare je me rassure ». Il y a toujours plus malheureux que soi, alors si je peux l’aider aujourd’hui à mieux vivre demain, je suis prêt à le faire. Etre père cela ne s’apprend pas, cela se vit et l’apprentissage avec le handicap est très difficile.